La Marseillaise des Anges
« La Marseillaise » pose un problème : comment peut-on à la fois maudire les « racistes », « xénophobes », « identitaires », « intégristes », « populistes », et autres « fascistes », -au point de mettre en prison les moindres suspects de ces horreurs- et chanter à pleins poumons un hymne national qui exalte ces mêmes crimes ? Autant vouloir marier l’eau avec le feu. Même des intellectuels, pourtant experts en sophismes, se sont trouvés gênés. Philippe Sollers en personne a avoué « Je ne peux pas entendre ‘La Marseillaise’ sans avoir un léger frisson ». Certes, ce n’est qu’un « frisson », et il est « léger », mais quand même !
Pour résoudre cette « quadrature du cercle », il fallait un génie. Alain Borer fut cet homme providentiel. Dans Le Point du 26 juillet, il donne la clé de l’énigme. Simple et clair comme l’œuf de Christophe Colomb : ce n’était qu’un malentendu ! C’est que nos contemporains, grossiers autant qu’ignares, ignorent les « codes » de ce que l’on appelait « poésie » en France au 18ème siècle. Ils n’ont jamais appris les « figures de style » qui nous viennent de l’antiquité. Eh bien, ces termes qui nous paraissent choquants, ne sont que des « figures » - des manières de parler. Grâce à l’antonymie, à la métaphore, au symbole, à l’allégorie, il n’y a plus de « sang impur », qui « abreuve nos sillons ». Il n’y a plus que la mère-patrie qui protège ses enfants du « viol » des féroces soldats prussiens.
Admirons la performance contorsionniste d’Alain Borer. En ajoutant à « La Marseillais » la musique de Mozart et la peinture de Delacroix, la pilule est parfaitement dorée et Borer espère bien qu’elle passera et glorifiera son génie.
A vrai dire, elle passe mal ; voyons comment Borer construit la première phrase : « Allons enfants de la Patrie ». Tout le monde fait de « de la Patrie » le complément de nom d’ »enfants ». Erreur ! nous dit Borer : il faut comprendre : Allons, enfants// de la Patrie le jour de gloire… Le jour de gloire de la Patrie est arrivé ! C’est du délire. Et la Patrie appelle à sa défense « les enfants ». Non les hommes ; ces enfants qui sont menacés par les égorgeurs prussiens. Ces « égorgeurs » qui ne sont plus ici métaphoriques, mais bien réels, et féroces. Il aurait pourtant été facile à Borer d’en faire des images, puisqu’ils « mugissent »et donc auraient pu être transformés de lions carnassiers « rugissants » , en placides ruminants. Mais il est clair que, pour Borer, tropes et figures ne fonctionnent que dans un sens. Alain Borer se félicite de sa démonstration ; mais le plus dur reste à faire ; il lui faudra aiguiser son esprit pour « métaphoriser » « Le Chant des Partisans ». « Ohé, les tueurs, à la balle, au couteau, tuez vite ! » Voilà qui semble rebelle à tous les codes du 18ème siècle poétique. Et fort prosaïque. Le pire est que Daesch s’en réclame…Il faut donc lui expliquer qu’il y a de bons assassinats et de mauvais assassinats. Il en conviendra aisément ; mais les mauvais, pour lui, sont ceux perpétrés par les infidèles, et les bons ceux commis par les fidèles – puisqu’ils conduisent au Paradis d’Allah. Comment se mettre d’accord ? Les « figures » ne sont ici d’aucun secours. Il faudrait que la République française se convertisse à l’Islam, ou que l’Islam se convertisse à la République française. Quand cette fusion sera réalisée, foin des tropes et des figures ! Il n’y aura plus que des saints assassins, humanistes ou religieux, et tous pourront chanter en chœur : « Ohé, les tueurs, à la balle, au couteau, tuez vite ! » Et Sollers n’aura plus aucun frisson.