Mémoricide et mémoire fantasmée
« Mémoricide » est un néologisme, formé d’après « génocide ». C’est la volonté d’effacer le souvenir d’un crime contre l’humanité; les coupables s’y efforcent, souvent avec succès. Mais les descendants des victimes, eux, se souviennent. Qu’il nous suffise de mentionner l’oeuvre magistrale de Reynald Sécher, qui prouve, irréfutablement, que la répression anti-vendéenne fut un véritable génocide, au sens précis du terme.
Mais chez nous ? Ne parlons pas du « devoir de mémoire », expression grotesque et injurieuse (Quelle âme est bien née, dont le père aurait été assassiné, supporterait qu’on lui crie : « Holà, toi, là-bas, n’oublie pas que ton père a été tué, et par qui ?)
Cette « mémoire » ne saurait être un sentiment imposé du dehors, par des lois. Elle jaillit spontanément d’un coeur blessé.
Les « gardiens de la mémoire » parlent plus juste - encore qu’ils fassent penser à des anciens combattants, un peu dépassés par l’Histoire. « Vigiles de la mémoire » ferait plus actuel. Mais ne pinaillons pas sur les mots. Les Corses sont réputés avoir « la mémoire longue », à la différence des Français, dont nous savons qu’ils l’ont courte. Font-ils honneur à cette réputation ? La question se pose.
Il ne se passe pas de jour, en effet, où la presse locale nous raconte une commémoration d’actions héroïques. Cela est bien : Certes, il s’agit de martyrs qui sont tombés pour des idéologies étrangères à la Corse; mais ceux qui se sont sacrifiés, fût-ce pour des causes erronées, ou mauvaises, ont droit au respect et à l’admiration : ils témoignent de la grandeur de l’Homme.
Mais jamais un mot, jamais un souvenir, jamais une messe, pour ceux qui sont morts pour leur patrie charnelle, la Corse, en des temps pas si lointains. Sur eux pèse une épaisse chape de silence. Et pourtant c’est la Corse, c’est la terre maternelle, qui a bu le sang de ses enfants innocents… Nous n’accusons pas personne; mais le fait est là, qui nous interpelle.
Et le fait est que si l’on demande à un jeune Corse, - et même à un moins jeune - : Qui était Circinellu ? Qui était Agostino Giafferri ? Que dit pour vous l’expression « i pullastri casinchesi » ? Il restera coi. Autrefois c’était Marianne qui en effaçait le souvenir, par les châtiments infligés aux petits corsicos et les tabous qui fermaient la bouche aux adultes.
Mais aujourd’hui les temps ont changé : qui empêche les Corses de célébrer leurs héros, et de rappeler leur souvenir ?
Qui, sinon les Corses eux-mêmes. Et surtout les « nationalistes ». Alors « pecura nera e pecura bianca // A chi more more, a chi campa campa. »
Question ; Un peuple qui s’avilit et se déshonore à ce point est-il encore digne de vivre ?
Circonstance aggravante : Alors qu’ils oublient leur mémoire, on leur en fabrique une, de remplacement, et entièrement fantasmée. L’exemple le plus significatif est celui de Pascal Paoli, cyniquement travesti en « homme des Lumières », alors que, de toute évidence, c’est un homme de la clarté romaine,éduqué à Naples imprégné de littérature ancienne et italienne, et de philosophie thomiste, qui avait crée son université « pour le service de Dieu et de la Patrie », confiant la jeunesse corse à des enseignants exclusivement thomistes. Or voici qu’on nous présente un élève de Voltaire et de Rousseau, pratiquement athée, qui fut le premier à donner le droit de vote aux femmes, à promouvoir mariage gay (!), à rédiger une Constitution démocratique imitée par toute l’Europe… Bref, tandis qu’on efface la mémoire de la réalité historique, on fabrique la mémoire de ce qui n’a pas existé ! Peut-on rêver d’une aliénation plus complète ?
Mais le plus surprenant, c’est que ce sont les « nationalistes » qui se sont appliqués avec ardeur à cette transsubstantiation de la Corse. Ce qui n’est pas surprenant, en revanche, c’est que, dans les différents ministères où on trimbale leurs dirigeants, quand on parle d’eux, on rigole.
La conclusion de tout cela, nous laissons au lecteur le soin de la tirer.
Don Antone LUCIANI