Corsica Catolica

Le quatuor en déconfiture

25 Décembre 2022, 11:40am

Ils étaient quatre pour sauver la Corse. Au début c’était par l’indépendance. Au fil du temps, ils s’étaient quelque peu fractionnés; chacun avait voulu se distinguer des autres. A vrai dire ils ne savaient plus très bien ce qu’ils voulaient.: indépendance? Autonomie? Décentralisation? Déconcentration? Pouvoirs locaux? Des mots, et sous la paille des mots, on ne trouvait plus le grain des choses.
Pourtant, tout avait bien commencé : on continuait, semblait il, le nationalisme d’avant-guerre ; en 1914 A Cispra, 1920 a Muvra, 1923 Partitu corsu d’azione animé par Petru Rocca. Une phrase de À Cispra résume l’esprit de ces publications:  ́La Corse n’est pas un département français. C’est une nation qui a été conquise et qui renaîtra  ́. Cela jusqu’à l’affaire d’Aleria. L’occupation de la cave Depeille avait été précédée d’une messe, selon la tradition.
Depuis lors la violence n’avait pas disparu, loin de là. Par elle le peuple corse, résistant à la répression, prenait conscience de lui même, et faisait bloc. Le résultat fut le triomphe électoral de 2017. ( 70% de votants pour les nationalistes, la droite  ́ et la gauche  ́ insulaires en miettes. On attendait donc les effets de cette victoire, son aboutissement politique. Mais rien n’est venu. Tout au contraire ce fut une capitulation, grotesque ment déguisée en victoire: le peuple corse, déposant les armes, allait désormais obtenir satisfaction par une discussion, d’égal à égal, avec le gouvernement français; il était représenté par ses députés. Le projet était stupéfiant: naïveté, ignorance, rouerie? Comment un député pouvait-il ignorer que, dès son élection, il devait défendre les intérêts généraux du pays et non les intérêts particuliers de ses mandants? Il était, par sa fonction, un traitre à ses électeurs, un traitre à la Corse. A une Corse qui n’existait pas! Il est bien connu, en effet, qu’il n’y a qu’un peuple en France, le peuple français. La France est  ́une et indivisible  ́. La formule avait été inventée par les jésuites, dont nombre de révolutionnaires furent les élèves. Elle était vraie de l’hostie; appliquée aux réalités terrestres, elle devenait néfaste : bel exemple des effets de la sécularisation du vocabulaire religieux...
Dans ces conditions le dialogue  ́Corse France  ́ ne pouvait être qu’une farce. La formule de Darmanin, accouru en Corse pour apaiser une émeute lycéenne,  ́Nous vous avons compris  ́, claire allusion à un célèbre  ́je vous ai compris’ : ces quelques mots en disent long sur les intentions du Ministre, et sur l’idée qu’il se fait de l’intelligence des corsicos. Mais elle montre aussi qu’il avait des complices parmi les interlocuteurs  ́. Il en avait; le piège était tendu, et les  ́corsicos’ s’y engouffrèrent, même ceux qui faisaient le plus les fanfarons.
Et tous acceptèrent, lorsqu’ Yvan Colonna fut assassiné dans sa prison, la création d’une commission d’enquête  ́ , vieux truc républicain, lorsqu’un gouvernement est embarrassé, pour que l’enquête finisse en eau de boudin.
Que pouvait-on attendre de gens qui avaient déjà fait preuve d’une cécité vraiment supra naturelle? Tout le monde sait qu’en cas de crise le peuple se serre autour du héros fondateur de la patrie, et de ses symboles. Jean Palach, le 16 janvier 1969, s’était immolé par le feu, mais au pied de la statue de saint Wanceslas, le fondateur de la Bohème. Staline lui-même, à la veille de Stalingrad, avait fait appel à la Sainte Russie. Les français, lors de la débâcle de 40, s’étaient précipités, tout francs maçons et bouffeurs de curés qu’ils fussent, à Notre Dame...Mais eux, les corses,s’étaient évertués à saper la statue du Père de la Patrie, Pascal Paoli, qu,ils présentaient comme le fils des Lumières françaises, avec une impudence qui le disputait à l’ignorance. Ils voulaient être  ́dans le vent’ , et même précurseurs, sans s’apercevoir qu’ils se tiraient une balle dans le pied, et que, si Pascal

 Paoli était un grand français, on ne voit pas pourquoi il s’opposait à la France... L’affaire du Piss Christ nous avait déjà éclairés sur leur aveuglement: un artiste en mal de publicité crachait sur la tombe de leurs aïeux, et eux regardaient ailleurs. Il est d’ailleurs remarquable que les mots de  ́tradition’ ,  ́héritage  ́ ,  ́honneurs,  ́fidélité  ́ , les maîtres mots de tout vrai nationalisme, ne sont jamais sortis de leur bouche, ce qui prouve qu’ils n’étaient pas dans leur cœur.
En un mot, nous, les vrais corses, et qui voulons le rester,  ́simu appughjati a frantu legnu  ́. Nous avons été trahis, et la seule excuse des coupables est l’orgueilleuse vanité, l’a.bit ion de courir en tête du peloton qui mène la France à l’abîme. Mais est-ce une excuse ou une circonstance aggravante? Les prétendus représentants d’un  ́Peuple qui n’existe pas’ ont adopté la vision d’un monde qui n’existera bientôt plus: celle qui est issue des  ́Droits de l’homme, ́ et qui conduit inéluctablement au rejet du passé, au meurtre du Père, et au néant. Nos députés sont des  ́micros-macrons’, rien de plus. Ils sont devenus partisans du libéralisme économique à la Pascal Salin. Ils se rabattent sur les  ́vrais problèmes  ́ de la Corse, à savoir comment on pourra assouvir les appétits de chacun, alors qu’il n’y a pas de problème corse  ́, mais une tragédie corse, la tragédie d’un peuple qui meurt.
Le destin de la Corse paraît désormais scellé : tout esprit lucide jugera qu’elle est agonisante, ou même déjà morte. Mais notre cœur dément notre esprit. Nous savons que là où croît le danger, croît aussi ce qui sauve.  ́E bughju, ma e u bughju di l’alba  ́. Enraciné dans le désespoir, germe et grandit une pousse nouvelle. Ce sont nos lycéens, i zitelli, fils spirituels des  ́pullastri casinchesi  ́, et de Giocante de Casabianca, dont la mémoire a été magnifiée par la poétesse anglaise Felicia Hemans, et que des générations d’enfants anglais , (anglais et non français !)ont chantée jusqu’à 1950. Et à travers ces voix enfantines, nous percevons celles des aïeux, les Circinellu, les Pascal Paoli, les Agostino Giafferri, les Maria Gentile, et tant d’autres.
Si la Corse est morte, elle renaîtra et sortira vivante du tombeau, comme Lazare, en renouant avec son passé, en retrouvant son Histoire, c’est à dire son identité, et ses racines qui plongent dans Jérusalem, Athènes, Rome Virginie né et la Rome éternelle, élément constitutif majeur de notre peuple, avec ses traits distinctifs: Corse à la fois mariale, franciscaine et vaticane. Et nous finirons avec les vers du poète de la Corse:
 ́O dolce nome, o casta fonte, o Donna
Di u purissimu amore di a mio mente,
A to presenza un m’abbandona mai.
Ancu s’ella é mutivu d’aspra pena,
Un’estrema speranza m’accumpagna
E mi sustene per l’esiliu amaru...
O Patria, o Sposa mistica, in tamanta
Bassura avemu pientu e spasimatu
Chi a salvazione un po mancà. Per seculi,
Finch’ellu durerà lu sacrifiziu
D’una razzia custante d’omi veri,
O Corsica ha d’à splende u to nome.
Lucien Antoni
 

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