Poète, prophète
Corsica Cristiana propose à ses lecteurs une prophétie d’Alfred de Musset datée de 1838 . Ils jugeront de sa valeur
Dupont
J’avais fait un projet…je te le dis tout bas…
Un projet ! Mais au moins tu n’en parleras pas.
C’est plus beau que Lycurgue, et rien d’aussi sublime
N’aura jamais paru, si Ladvocat l’imprime .
L’univers, mon ami, sera bouleversé.
L
On ne verra plus rien qui ressemble au passé,
Les riches seront gueux, et les nobles infâmes,
Nos maux seront des biens, les hommes seront femmes,
Et les femmes seront tout ce qu’elles voudront.
Les plus vieux ennemis se réconcilieront,
Le Russe avec le Turc, l’Anglais avec la France,
La foi religieuse avec l’indifférence
Et le drame moderne avec le sens commun…
J’abolis la famille et romps le mariage .
Voilà. Quant aux enfants,en feront qui pourront,
Ceux qui voudront chercher leurs pères chercheront.
Du reste on ne verra,mon cher, dans les campagnes,
Ni forêts ni clochers, ni vallons ni montagnes.
Chansons que tout cela ! Nous les supprimerons,
Nous les démolirons,comblerons, brûlerons.
Ce ne seront partout que houilles et bitumes
Trottoirs , masures, champs plantés de bons légumes…
Sur deux rayons de fer un chemin magnifique
De Paris à Pékin ceindra ma république.
Là cent peuples divers,confondant leur jargon,
Feront une Babel d’un colossal wagon .
Là, de sa roue en feu le coche humanitaire
Usera jusqu’aux os les muscles de la terre.
Du haut de ce vaisseau les hommes stupéfaits
Ne verront qu’une mer de choux et de navets.
Le monde sera propre et net comme une écuelle,
L’humanitairerie en fera sa gamelle.
Et le globe rasé ,sans barbe ni cheveux,
Comme un grand potiron roulera dans les cieux .
.
Durand
Je résolus d’écrire,en rentrant au logis ,
Un ouvrage quelconque, et d’étonner Paris .
Je tirai mon verrou,j’eus soin de m’entourer
De tous les écrivains qui pouvaient m’inspirer.
Soixante in-octavos inondèrent ma table.
J’accouchai lentement d’un poème effroyable.
La lune et le soleil se battaient dans mes vers.
Venus avec le Christ y dansait aux enfers.
Vois combien ma pensée était philosophique :
De tout ce qu’on a fait faire un chef-d’œuvre unique.
Tel fut mon but:Brahma ,Job,Marmontel,Néron et Bossuet,
Tout s’y trouvait:mon œuvre est l’immensité même.
Mais le point capital de ce divin poème ,
´Est un chœur de lézards chantant au bord de l’eau .
Voilà qui n’est pas mal prophètisé.
Mais la réalité dépasse toujours la fiction .Musset n’avait pas
prévu la Corse nationaliste , son national-mondialisme,
son arc-en-ciel monochrome, son « tutti fratelli » guerrier
et néanmoins franciscain, son métissage immaculé,
Son indépendance dépendante, et tant d’autres merveilles.
Décidément « cette petite île étonnera le monde »
Lucien Antoni