Napoléon contesté
Incroyable mais vrai: Napoléon a été contesté dans sa ville natale. L’occasion en fût la motion de la CTC sur la commémoration de sa mort, le 5 mai 1821. C’est un rite pour les ajacciens, et un rite sacré. La minorité francophile de l’auguste Assemblée imagina donc de s’en servir comme d’une peau de banane glissée sous les pas de la majorité francophobe, car les élections étaient proches. Elle proposa donc d’ajouter à la motion une déclaration d’indéfectible attachement de la Corse à la France. La ruse était belle: il fallait bien que Napoléon servît encore à quelque chose ! Mais le coup était incertain. Les francophones étaient en effet secrètement macrophiles, et il était à craindre qu’ils ne signassent la motion, en emberlificotant leurs électeurs par un de ces tours de passe-passe dont ils étaient coutumiers. Ils pouvaient leur expliquer que la France de Macron étaient l’anti-France et donc la pro-Corse. Ces vieux briscards de la politique firent mieux: Ils exhibèrent des lettres du jeune Bonaparte. Il écrivait dans l’une d’elles « Les Corses ont pu, en suivant toutes les lois de la justice, secouer le joug génois, et peuvent en faire autant de celui des Français. Amen.» C'était un coup de maître. Napoléon, qui devait servir à lier la Corse à la France, pouvait aussi servir à la délier ! Ainsi, d’une part ils contentaient leurs électeurs, en ne signant pas la motion et d'autre part ils ne mécontentaient pas l’européiste Macron, en promettant, une fois détachés de la France, de s’attacher à l’Europe: du grand art, digne de la Commedia dell’Arte italienne.
Mais quittons la CTC et son spectacle de marionnettes: quoique plaisant il finit par lasser. Paulo maiora canamus. La vraie question aujourd’hui n’est pas de savoir si on peut, ou non, user de Napoléon pour souder la Corse à la France. Le problème est celui du Grand Remplacement. En France certains le craignent. En Corse il a déjà eu lieu, et on peut le juger à ses effets. Notre regretté compatriote Perfettini avait publié naguère une brochure, excellente, qui résumait la situation. La Corse devait choisir : ou garder son identité ou devenir "l´île ouverte et heureuse", paradis de la " dolce vita ". Il semble qu’elle ait choisi, fière de servir d’exemple, sinon de modèle, à la nouvelle société, émancipée et jouissive. La presse locale n'a pas de mots assez enthousiastes pour encenser les "néocorses" qui remplacent les "paléocorses" en voie de disparition rapide.
Ces nouveaux arrivants se montrent ravis, ayant tout quitté -attachements, famille, terroir, racines -pour " l’île de beauté " (l’île des beautés ,disent les racoleurs touristiques) avec son soleil, ses plages, ses paysages, sa "qualité de vie". Reste à liquider les « paléos » . Chose facile par submersion démographique et les procédés ordinaires : la corruption et la répression, la carotte et le bâton. On pourra lire alors, dans nos livres d’histoire "Autrefois notre pays s’appelait la Corse, et ses habitants les Corses" Requiescat in pace.
Cyrus Salomon