Les Franciscains et la Corse
Les Franciscains sont arrivés dans notre île au XIII é siècle. Selon la tradition une violente tempête obligea un navire de retour d'Espagne à faire escale dans le port de Bonifacio.
Il transportait François d'Assise qui profita de cette escale forcée pour fonder le premier couvent franciscain de Saint- Julien.François aima la Corse qu'il appelait la ''navicella della sua religione''. En mourant il la confia à son meilleur ami Jean Parente qui lui succéda à la tête du jeune ordre des Frères Mineurs entre 1227 et 1232.
Jean Parente, encouragé par des cardinaux dont le cardinal Ugolin, futur pape Grégoire VII, passa en Corse .A cette époque le peuple était miséreux, ignorant, en proie aux guerres , aux razzias arabes qui l'obligeaient à se déplacer au rythme des transhumances , Jean Parente réussit sa mission au prix d'efforts surhumains.Il fonda six couvents tous dans le nord de la Corse,excepté celui de l' Ornano où il mourut et fit de la Corse une terre franciscaine. Les Frères Mineurs eurent un développement et un succès rapide Au XVé siècle 1240 frères vivaient dans 24 couvents .Ils appartenaient aux trois branches de leur Ordre: Observants, Réformés, Capucins.Il y avait peu de différences entre elles.
La branche capucine introduite dans notre île par Mariano di Nebbia eut un essor, une popularité sans pareille.
Aux débuts les Franciscains s'étaient installés dans des luoghi primitifs comme l'avait souhaité saint François. Ces premiers couvents se bornaient à une maisonnette contenant des cellules étroites, une nef unique, un jardinet .Ils étaient, écrit Pietro di Rostino235 ,de vrais miroirs de pauvreté'' mais ils suffisaient à ces hommes simples pour prier et travailler de leurs mains . Chaque piève, village, hameau revendiqua235le droit d’avoir son monastère. Le peuple avait les religieux en grande considération. On distinguait les Padri, les pères qui célébraient la messe et prêchaient et i Fratri, les frères lais ou convers qui les servaient.Tous portaient la tonsure, la barbe longue, robe de bure ceinturée par un cordon.Les capucins en plus portaient un capuchon carré terminé par une longue pointe qui leur avait donné son nom.Dès leur arrivée ils se mirent entièrement au service du peuple. Tous corses ils se faisaient admirablement comprendre car ils parlaient simplement corse et non latin. Ils n'étaient pas tous instruits, ils n'étaient tous savants, leur vocation était de donner des exemples de vie pure et d'amour. Les plus cultivés d'entre eux étaient envoyés en Terre Ferme , le continent, pour devenir des prédicateurs capables de faire passer dans le peuple le message évangélique.Chaque piève, village, hameau revendiqua le droit d’avoir son monastère. Les habitants les plus pauvres se sentaient déshonorés s'ils ne subvenaient pas aux besoins des religieux auxquels ils faisaient l'aumône d'un mets, d'un produit ou pratiquaient le troc, les moines refusant les dons d'argent, Nombreux en Haute Corse, région aisée, d'accès facile à évangéliser, les couvents étaient rares en Corse du sud plus pauvre, au relief accidenté en proie à des rivalités et où subsistaient des restes de paganisme, pourtant leur impact fut important..
Les Franciscains faisaient connaître la vie des saints et établissaient des correspondances avec celle des gens . Ils vivaient dans la pauvreté, la chasteté , l'humilité .Les capucins recherchaient la rigueur, l'austérité, ils acceptaient les d'aumônes ou quelque récompense pour leur travail effectué chez les gens de la région pour les aider. En effet ils avaient des métiers divers , de l'expérience, du savoir faire.Il y avait parmi eux des maçons, charpentiers, sculpteurs, peintre, jardiniers, cuisiniers, menuisiers, tailleurs, cardeurs de laine , infirmiers, chirurgiens, apothicaires .Ils pratiquaient la fraternité , évangélisaient en se déplaçant d'un lieu à l'autre , d'une maison à l'autre , exorcisaient le démon, enseignaient cantiques et prières. Toujours ils louaient la création de Dieu, l'amour de la nature et des animaux.Leurs principes étaient simples: plaire au Christ, l'imiter, lui ressembler, faire preuve d'un grand dévouement , d'une grande fraternité envers le prochain dans toutes les circonstances de la vie Ils se rendaient au chevet des malades atteints des plus horribles maux qu'ils soignaient sans dégoût à l'aide d'herbes dont ils connaissaient les secrets, des accidentés, ensevelissaient les morts les plus miséreux, les prostituées et les condamnés à mort .
Avec le temps leurs luoghi devinrent de magnifiques couvents construits selon un modèle architectural simple et harmonieux, rayonnants de spiritualité, situés dans les sites les plus beaux, les plus remarquables, les plus romantiques, Ils furent de véritables pépinières de saints formés dans les différents noviciats de l'île. Les religieux y accueillaient des gens désireux de faire une retraite, des voyageurs harassés, des fidèles qui avaient besoin de se confesser, recevoir un conseil . Composés de pères religieux prêtres et Leurs couvent jouissant d'immunité ils protégeait les condamnés par l'inique justice génoise .Ceux qui venaient s'y réfugier ne pouvaient pas être arrêtés et poursuivis. Il leur arrivait de recueillir un enfant , l'élever, l'instruire .Ils apprenaient aux femmes la cuisine , les notions d'hygiène.Ils partageaient avec le peuple le surplus de leur production de légumes et de fruits de leur jardin . Les Frères Mineurs Observants avaient la spécialité de s'occuper du Troisième Ordre institué par François d'Assise pour les laïcs, son succès fut extraordinaire. Les Franciscains corses ont montré qu'on peut vivre avec une foi extraordinaire dans des conditions de vies simples ou frustes.
Peu à peu les couvents devinrent des lieux de savoir, ils s'enrichirent de bibliothèques,Les Pères, savants, donnèrent des leçons, instruisirent des enfants, publièrent des ouvrages.
Durant la grande révolte contre les Génois,(1729-1769),les religieux franciscains, élites du pays, patriotes ardents, partisans de Pascal Paoli appelèrent à la guerre .Pascal Paoli les utilisa et tint de nombreuses consulte dans leurs couvents bénéficiaires de l'immunité ecclésiastique .
En 1787 la veille de la Révolution française la province franciscaine de Corse florissante totalisait 1100 moines vivant dans les 75 couvents franciscains de l'île dont 40 appartenaient aux 500 Frères Mineurs de l'Observance et Réformés réunis et 35 aux six cents Capucins.
La Révolution Française eut des conséquences funestes. Les ordres religieux furent dissous, les couvents saisis , les franciscains malmenés, expulsés, s'exilèrent et ce fut la fin de la Corse Terre Franciscaine que nos ancêtres ont tant aimée .
Les Annales Franciscaines de 1865 louangent nos Franciscains en ces termes:
«Ils imprégnaient la société de l'esprit chrétien, ils exerçaient leur plus salutaire influence par le ministère de la prédication et les confessions. La population a conservé le souvenir de leurs bienfaits».
Les efforts pour reconstituer la Corse Franciscaine se heurtèrent notamment à la loi de 1903 qui supprima les couvents pour la seconde fois et en expulsa les religieux. Les couvents complètement abandonnés
se délabrèrent tout à fait. Qu'importent leurs ruines ou s'ils sont encore debout , nous leur manifestons un attachement très fort , viscéral. Nos vieux monastère sont pour nous des lieux où souffle encore la foi , ils sont notre mémoire, les repères de notre passé, nos marques identitaire . Ils sont notre patrimoine chrétien et notre histoire .
Leurs belles ruines nous laissent mélancoliques, amers quand on apprend que le diocèse les a vendus par besoin d'argent .Les riches étrangers qui les ont achetés les ont convertis en résidences de luxe, en hôtels de grand standing où toute trace du passé est méticuleusement effacée .
Il nous reste bien peu de nos couvents, autrefois orgueil d'un village!
Parfois, Dieu Merci. la population d'un village se mobilise, monte une association pour le sauvegarder, cherche une solution pour le restaurer , en faire un centre culturel, humanitaire ou administratif, un lieu d'expositions, de concerts. Une seule messe par an justifie que l'on prenne soin de l'église conventuelle. Dans cet endroit consacré on peut enseigner le catéchisme , faire un temps de prières, célébrer un mariage, de s funérailles, procéder à un baptême ,
Certes la Corse n'est pas le seul diocèse qui vend ses biens , malheureusement, ce phénomène affecte de nombreux diocèses français et étrangers( ;Canada), mais chez nous, terre franciscaine, il prend des dimensions tragiques car il contribue à nous couper de nos racines chrétiennes , à nous éloigner de l'idéal chrétien qui fut celui de nos ancêtres .
France Sampieri
19 octobre 2020