Corsica Catolica

Des doutes

6 Septembre 2020, 17:46pm

Dans mon maquis Corse, privé de journaux, de télé, d’Internet quelques rumeurs me parviennent, portées par la vox populi. Tout récemment, une clameur qui a couvert les déplorations sur le fameux virus : il paraît qu’un journaliste de Valeurs Actuelles a provoqué un scandale : il a fait paraître un dessin représentant une certaine Obono – Une jolie femme bronzée – avec un collier d’esclave au cou, d’où pendaient des cordelettes portant à leur extrémité de gentils petits négrillons. La dame se plaignit. Du coup, ce fut un concert d’indignation devant cette atteinte à la dignité mélanodermes. Le Directeur du journal demanda l’aman et se prosterna. Tous les partis politiques firent assaut de repentance. Quelle tollé !

Corsica Catolica ne saurait rester indifférente  à un si grave événement, aux implications métaphysiques évidentes : notre religion nous le défend, au nom de l’amour dû à notre prochain. Nous nous joignons donc à tous les indignés. A travers madame Obono (nous ne garantissons pas l’orthographe mais peu importe), nous savons, nous chrétiens, que c’est l’homme qui a été offensé, l’Homme créature de Dieu, de Dieu qui a crée tous les hommes égaux. L’Homme ! Disons plutôt l’Androgyne primordial, pour ne pas blesser nos consœurs : hommes et femmes sont nés égaux, et même nous devons reconnaître que les femmes sont un peu plus égales que les hommes : nous dirons donc que Gynandre a été offensé en Madame Obono.

Mais nous ne pouvons admettre que de simples excuses puissent effacer l’injure. Valeurs Actuelles, et toute la classe politique, s’en tirent à trop bon compte. Le Gynandre est l’œuvre de Dieu ; en lui c’est Dieu lui-même qui a été offensé ; l’offense est donc infinie, et exige un châtiment infini : l’enfer pour l’au-delà (mais cela est l’affaire de Dieu), la prison à vie – puisque la peine de mort a été abolie – pour les tribunaux terrestres. On ne saurait être trop dur dans un cas semblable : la sanction doit être à la mesure de la faute. La facho-sphère doit  être reprimée sans pitié, et l’amende doit être telle qu’elle renflouera les caisses vides de notre République.

Certes, nous savons comment ces scélérats essaient de justifier leur haine : ils prétendent que l’esclavage a toujours existé dans le monde, et qu’il y eut des esclaves blancs avant les esclaves noirs. Et d’invoquer les Grecs et les Romains. Mais c’est une misérable astuce : dans le cas de ces derniers il ne s’agissait pas du crime de colonisation ; c’était tout simplement du commerce : on achetait et vendait des hommes, on ne les humiliait pas ; bien au contraire, on vantait la qualité de la marchandise, pour faire monter son prix. Platon, l’illustre et noble philosophe, fut capturé par des Corsaires, grecs comme lui, qui se gardèrent bien de l’abimer. On était en quelque sorte en famille. Et Platon put connaître sa juste valeur, qui était immense,  à l’énormité de la rançon que ses amis durent payer pour sa libération. Sans compter que ses gardiens eurent le bonheur de profiter de ses leçons. Vouloir amalgamer Platon avec Obono est une tentative infâme : le commerce n’est pas l’esclavage.

Autre argument fallacieux : le recours à la « traite des  blanches ». Comme si ce n’était pas là une œuvre de miséricorde ! Ces grandes Dames, que l’on ose appeler « prostitués » sont des filles de l’Amour, et déjà, à Corinthe, on les vénérait comme des icones sacrées. En pays chrétien, ellesse sont épanouies en sœurs de charité : que font-elles d’autre que de consoler, dans une parfaite égalité évangélique, tous les déshérités de l’amour, les pauvres comme les riches, les jeunes comme les vieux, les ouvriers comme les bourgeois, les employés municipaux comme les ministres, les Enfants de Chœur comme les Cardinaux ? Et elles contribuent ainsi grandement au bien commun ; le Saint roi Louis l’avait bien compris, et Baudelaire avait chanté ces Saintes Femmes dans des vers inoubliables :

« Âmes bien ordonnés, dévotes et martyres,… Et les urnes d’amour dont votre cœur est plein »

Assimiler la « traite des nègres » à la « traite des blanches » pour la justifier est une diabolique imposture. Trêve donc de ces minables et répugnantes échappatoires ! Il faut sévir, et sévir sans faiblir.

Avec madame Obono nous avons le parfait exemple de la traite coloniale, qui rabaisse et humilie. C’est l’homme blanc qui écrase l’homme noir. Certes, ça s’explique : le blanc est le contraire du noir ; ils sont donc opposés par leur essence même. Le Blanc voit dans le Noir son ennemi naturel, et héréditaire. Il veut donc l’asservir, l’écraser, l’anéantir. Et il ne s’en prive pas. Mais une explication n’est pas une justification. Un crime reste un crime, et, en l’occurrence, c’est un péché. Le péché par excellence, celui pour lequel il n’y aura pas de pardon, ni sur terre ni dans les Cieux.

Mais voici qu’un doute me prend, et ébranle mes certitudes. J’en tremble, j’en frémis : ma colère venait d’un dessin ; mais un dessin est muet ; certes, il signifie quelque chose ; mais quoi ? Et si le journaliste de Valeurs Actuelles, joyeux farceur, avait voulu donner le change aux lecteurs, et éprouver les réflexes pavloviens de notre société ? S’il avait voulu que l’on comprenne tout le contraire de ce qu’il disait dans son dessin ? S’il avait voulu montrer, en madame Obano, non pas la victime des locodermes, mais sa victoire sur eux ? Et cela avec un clin d’œil Voltairien à ses amis. Ce « peuple français », si bien dressé, il le lançait à la poursuite d’une chimère ; pendant ce temps, la mélanoderme savourait d’avance sa victoire – celle des mélanos contre les leucos – ce qui se devinait au sourire épanoui de la conquérante madame Obono… Si c’était cela, la bonne interprétation ? Un collier d’esclave pour faire la nique aux anciens maîtres, et leur annoncer un changement de rôles…

Que faut il donc penser ? Nous flottons dans un océan d’incertitudes, sans compas ni boussole. Nous doutons, nous doutons de tout, nous doutons même de notre doute…

Mais, Dieu merci, la Haute Autorité est là qui veille sur nous. Et elle, elle sait.

In manibus eius dimittimus animam nostram.

Lucian Antoni

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