Les élections municipales
Paul-Michel Castellani, fondateur de notre « cercle de réflexion », s’est présenté aux élections de Sartène, son village, dans une intention précise : montrer que toutes les mesures envisagées pour le bien de Sartène doivent procéder d’un unique souci : retrouver, conserver et défendre l’identité profonde de son être ; nous ne sommes pas des produits, nous sommes des fils, donc des héritiers ; nous devons faire fructifier l’héritage en sauvegardant son essence. Cette notion d’héritage est capitale. Or, elle est absente des propos de tous les candidats, non seulement à Sartène, mais dans toute la Corse. La Corse est un pays « aliéné », jusqu’à la moelle ; nous voulons la rendre à elle-même, et, par là, la sauver. Ces élections, puisque les media nous sont fermés, sont un moyen de nous faire connaître, d’exposer notre doctrine et notre programme.
Qui sommes-nous ? Que sommes-nous ? Mais, d’abord, que ne sommes-nous pas ? Cela doit être dit, car l’appellation « Corsica Catolica » peut prêter à confusion. Ce que nous ne sommes pas : un parti « confessionnel » ou « clérical ». Nous sommes indépendants de l’appareil ecclésiastique, qui d’ailleurs nous ignore ; et c’est très bien ainsi.
Une autre erreur consisterait à penser que notre mouvement concerne les seuls chrétiens. Une distinction fondamentale s’impose ici : celle de la Foi et de la chrétienté. La Foi est quelque chose de personnel et d’intime ; la réponse à un appel. On l’a ou on ne l’a pas, et ceux qui l’ont n’y ont aucun mérite, car c’est un don de Dieu. La chrétienté, au contraire, est une réalité objective, dans laquelle nous sommes plongés en naissant ; c’est la somme des institutions, des lois, des coutumes, des manières de penser et de vivre qui sont communes à notre peuple, et différentes des autres. Elle est fille de la Foi, mais distincte d’elle. Il en est parmi nous qui n’ont pas la Foi, mais veulent vivre en chrétienté, « campa a cristianinu », c’est-à-dire vivre dans ce terreau qui est en train de disparaître.
Le monde dit « moderne », ou « post-moderne », ou « transhumain » s’acharne depuis plus de deux siècles à saper les fondements chrétiens de notre société, avec une violence, une astuce, une constance, qui font deviner, derrière les marionnettes qui croient gouverner, une puissance ténébreuse que nous appelons, en langage chrétien, satanique, et qui tire les ficelles. Nous ne saurions donc faire abstraction, même au niveau des municipales, du monde hostile qui nous opprime et menace de nous engloutir. Paul-Michel Castellani se présente pour nous défendre, parce qu’il aime son village et son pays.
Certes, il n’est pas le seul à les aimer. Et nous nous plaisons ici à rendre hommage à tous ces maires de petites communes qui s’obstinent, avec des moyens dérisoires, à y maintenir un peu de vie. Ce sont de vrais Corses.
Mais il ne suffit pas d’aimer pour sauver. Il faut aussi savoir discerner l’origine du mal qui nous ronge, et nous armer pour notre salut.
Nous prenons acte d’un état de fait : tous les partis politiques qui briguent nos suffrages, même s’ils paraissent s’entredéchirer, se fondent sur les mêmes principes, issus des « Lumières » : la société est faite pour l’émancipation de l’individu, garantie par les Droits de l’Homme. Le mot d’ordre des temps modernes est : ne rien accepter qui n’ait été expressément voulu par chacun. L’individu est Roi : c’est la négation de la Patrie, et la destruction du peuple. Quelle tristesse de voir que nos « nationalistes », qui se flattent de défendre notre peuple, ont adopté la philosophie qui le supprime ! Avouons-le : nous avons cru en eux ; et ils nous ont floués. Le jour où un artiste en mal de célébrité est venu en Corse pour compisser nos ancêtres, et que les « nationalistes », pendant ce temps, regardaient ailleurs, nous avons ouvert les yeux ; nous avons compris : leur politique n’était que farce, illusion ou mensonge. Nous aurions dû nous en douter, à voir l’impudence avec laquelle ils s’évertuaient à déguiser le Père de la Nation en homme des Lumières , élève de Voltaire, de Montesquieu ou de Rousseau – alors qu’il venait de la grande lumière du Moyen Age, et de la pensée de Saint Thomas. Pour s’en convaincre il suffisait de lire le magistral ouvrage de M.Th. Avon-Soletti . Mais ils se gardaient bien de le lire ; en déboulonnant la statue du Fondateur, ils désarmaient la Corse. Des traîtres ? Nous aurions employé ce terme s’ils n’étaient de notre sang et de notre race ; nous les appellerons de pauvres malheureux , des frères égarés, aveugles conduisant d’autres aveugles à l’abîme ; mais nous avons peine à leur pardonner le « mémoricide » de nos héros et de nos saints, dont ils se sont rendus coupables. De notre passé ils ont voulu faire table rase, pour créer, sur le cadavre de la Corse, un nouveau peuple conforme à leurs goûts. Or « un peuple qui n’a pas de passé n’a pas d’avenir ». Et ces bonimenteurs nous parlent, sans rire, de leurs « fondamentaux » nationalistes’ !
Et les autres partis ? Tous nous chantent les vieilles rengaines qui ont deux siècles d’âge. « Non ragioniam di loro, ma guarda e passa. » C’est tout le commentaire qu’ils méritent.
Tous, en tout cas, « nationalistes » et « antinationalistes » en cette veille d’élections où fleurissent les promesses, s’accordent sur un point : ils ne parlent que de réalisations matérielles ; ils ne voient que « l’homo oeconomicus », ce qui prouve, malgré leurs divergences apparentes, leur profonde et réelle unité. Que nous importe à nous que la population soit bien administrée, que les affaires marchent bien, que la prospérité s’installe, si les bénéficiaires en sont des étrangers, ou des Corses qui n’ont de corse que le nom ? La Corse agonise, et ses enfants lui portent le coup de grâce.
Contre les puissances de la mort, nous appelons à la résistance. Et nous sommes, actuellement, les seuls Résistants, avec quelques amis dispersés.
D’abord, nous n’avons pas honte de nos pères, comme il est de mise dans tous les milieux, pour cause de participation à la colonisation. Leur cause fut-elle douteuse ? Peut-être, mais nous sommes fiers d’eux : ils ont montré partout dans le monde la vaillance de notre race, son intelligence, sa souplesse. Ce sont les sous-officiers Corses qui ont construit l’Empire colonial français . Honneur à eux ! Nos ne renions pas nos pères ; ceux qui le font dégénèrent. L’honneur oblige… l’honneur… C’est un mot que l’on ne trouve jamais dans la bouche des politiciens, parce qu’il n’est pas dans leur cœur. Il demeure dans celui de quelques paysans de chez nous.
Nous voulons aussi clarifier notre position par rapport à la France. Nous disons que la condition sine qua non de notre survie, c’est la reconquête de notre indépendance pleine et entière. Mais nous ne haïssons pas la France en tant que telle. Car la France n’est pas une denrée immuable ; celle de Clovis n’est pas celle de Robespierre, pas plus que cette dernière n’est celle de Macron. Nous aimons la France du Moyen Age – le Moyen Age qui, malgré ses ombres, qu’il ne faut pas cacher, fut la grande Lumière de l’Europe. Nous aimons la splendeur de ses cathédrales, la beauté de ses châteaux, la douceur de ses paysages (France la douce !) – ses artistes, ses philosophes, ses théologiens et ses saints.
Nous aimons Saint Louis, qui rendait la justice sous un chêne. S’il avait été Roi à la place de Louis XV, jamais la Corse n’aurait été française ; l’Histoire nous dit que ce Saint Roi avait abandonné de vastes domaines à l’Angleterre, parce qu’il n’était pas absolument certain d’en être le légitime possesseur. Imagine-t-on St Louis voler au Saint-Siège le Royaume de Corse, donation de Pépin le Bref confirmée par Charlemagne ? Et Jeanne d’Arc ? Elle qui ne voulait pas d’Anglais en France, aurait-elle voulu des Français en Corse ? Nous aimons la France de Corneille, de Racine, de La Fontaine, de Péguy, de Psichari, de Baudelaire, de tant de héros et de saints. Une France qui n’existe plus, occupée par l’Antifrance qui s’est installée aux commandes et a transformé « la fille aînée de l’Eglise » en suppôt de Satan.
Nous affirmons donc qu’à l’heure actuelle la reconquête de notre indépendance est la condition nécessaire de notre survie. En d’autres temps et sous d’autres cieux, nous aurions pu nous contenter d’une souveraineté restreinte, appelée « autonomie ». Pensons à l’Empire romain, à l’Autriche-Hongrie, à l’Angleterre… Mais cette autonomie était incompatible avec l’idéologie républicaine : la France est « une et indivisible ». Bel exemple de ce qu’il advient lorsque des notions religieuses sont rabattues sur la terrez. Cette « sécularisation » est mortelle. Nos révolutionnaires étaient de bons élèves des Jésuites, qui leur avaient appris que l’hostie est « une et indivisible ». Mais la France n’était pas l’Hostie ! On le vit bien lorsque nous assistâmes, en Algérie, aux mystères de l’indivisible divisé. Mais nous ne pouvons plus chanter aujourd’hui, comme Du Bellay, « la douceur angevine » tout en glorifiant la France « mère des Arts, des Armes et des Lois ». Citoyenneté et nationalité sont désormais confondues. Impossible de dire : « citoyen français de nationalité corse ».
Et ce n’est pas une consolation de nous dire que, la philosophie des Lumières poussant sa logique jusqu’à ses dernières conséquences, comme la France a dévoré la Corse, elle est aujourd’hui dévorée par le monde. L’ère post-moderne exige la suppression des frontières, l’effacement des identités nationales, la planification générale , la fabrication d’individus interchangeables. L’homo oeconomicus » prélude à la création d’une espèce nouvelle, qui sera à la nôtre ce que cette dernière est au singe… Utopie exaltante de la sortie de l’humanité, de l’abolition de l’angoisse métaphysique, de l’Homme créé devenu Dieu créateur, et immortel… Nous voulons, nous, rester des hommes –faibles, souffrants, pécheurs, mais toujours des Corses, et des Sartenais – puisque nous misons aujourd’hui sur Sartène, le plus corse des villages corses, le village d’un « Catenacciu » non encore totalement folklorisé.
Et voilà pourquoi nous promettons une unique chose aux Sartenais : la création d’un centre culturel d’inspiration franciscaine.Non que nous refusions les réalisations concrètes ; elles ont leur nécessité. Mais nous voulons souligner que les « Fils de la Terre » ne doivent pas s’opposer aux « Fils du Ciel ». Les uns ont besoin des autres et nous nous félicitons que beaucoup, parmi les premiers, aient compris cette vérité. Les grands moines du Moyen Age, ces bâtisseurs de civilisation, ont, selon l’expression d’un Bénédictin moderne « dessiné les jardins de la Terre en contemplant le Ciel ». Sans l’Esprit qui les anime et les soutient, ces derniers perdent leur sel et leur saveur. Mais les autres ont besoin de l’humus terrestre pour germer et fleurir ; sans lui, elles s’étiolent et meurent. La rose a besoin du fumier, et le fumier appelle la rose. Cette incarnation de l’éternel dans le temporel, nous l’avons connue dans le passé, et Péguy l’a chantée en vers admirables :
« car le surnaturel est lui-même charnel,/Et l’arbre de la Grâce est raciné profond,/Et plonge dans le sol et cherche jusqu’au fond ».
Il nous faut donc rentrer en nous-mêmes, retrouver notre identité, nous « ressourcer » comme le dit si bien le verbe, pour irriguer de nouveau les lois et les institutions. Cela ne signifie pas répéter mécaniquement ce que nos anciens ont fait avant nous. Paul Valery nous l’enseigne : « la véritable tradition dans les grandes choses n‘est point de refaire ce que les autres ont fait, mais de retrouver l’esprit qui a fait ces choses et qui en ferait de tout autres en d’autres temps ».
Certes, nous ne prétendons pas que les institutions chrétiennes, comme par un coup de baguette magique, feraient renaître la Foi : ce serait une naïveté et une sottise. Notre rôle, quoique indispensable, est modeste ; nous sommes des « déblayeurs », c’est à dire que nous supprimons les obstacles qui s’opposent à la coulée de l’Esprit ; ainsi, si nous avions le pouvoir, il n’y aurait plus de drogue, plus de pornographie, plus de lois mortifères. Mais nous savons bien que, tombés si bas, la remontée sera longue et difficile, qu’il y aura des reculs, des défaillances, des fautes. Il a fallu des siècles, après l’effondrement de l’Empire roman, pour parvenir à la splendeur des 12ème et 13ème siècles. Et déjà, au 14ème siècle, s’annonçait la décadence. Cet effort sera du ressort des hommes d’Eglise, avec le secours de la Grâce. Mais nous savons qu’il faudra payer le prix fort : des larmes et du sang. Il faudra que les hommes d’Eglise, prêtres, évêques et cardinaux reviennent à la ferveur première, qu’ils se souviennent que les quarante premiers papes furent tous martyrs, que l’Eglise ici-bas est par essence militante, et que tous ces sourires faits à nos pires ennemis, ces courbettes devant César, cette tolérance, ces « vivre ensemble », ces « écoutes de l’autre », ne sont trop souvent que le masque de la lâcheté.
Sursum corda ! Sartène, ville du catenacciu, petite lumière dans une nuit qui tombe sur le monde et s’épaissit sans cesse… Une petite lumière, mais portée par la petite fille Espérance.
Antoine Luciani
Au nom de CORSICA CATOLICA