Quellu
Prete Mondoloni: Quellu .
L’auteur de ces lignes n’a pas pu, hélas!, assister à la messe anniversaire du rappel à Dieu de celui qui aimait à se faire appeler « Prete Mondoloni». Il m’avait fait l’honneur de me compter au nombre de ses amis . Voilà pourquoi je voudrais aujourd’hui dire quelques mots sur ce prêtre exceptionnel, qui n’a pas toujours été bien compris. On a loué son franc- parler,son courage, son ardeur missionnaire. Il méritait ces éloges, mais peut-être a-t-on laissé dans l’ombre quelques uns de ses traits essentiels. Et d’abord que la Corse, la pauvre Corse «normalisée»et agonisante a vu renaître en lui un vrai «prêtre corse»,portant soutane et profondément enraciné dans la terre de ses ancêtres. Une terre de paysans et de guerriers.Il me raconta un jour comment , dans son enfance, son grand-père lui avait appris l’art de cueillir un fruit:avec délicatesse,respect et amour. Un geste tout simple, mais qui suffisait à révéler le lien vital de l’homme avec sa terre maternelle.Une terre qui enfanta aussi des soldats,avec toutes les vertus viriles et les exigences morales qui sont la marque du militaire: honneur et fidélité. Ainsi le père du futur abbé , officier, contre ses intérêts et contre le vent de l’Histoire, était resté aux côtés du Général Dentz, pendant les événements de Syrie, pour ne pas encourir la honte d’abandonner un chef prestigieux et aimé.Et c’est cette même fierté qui lui dicta sa conduite,lorsque, jeune saint-cyrien,il assista, avec son frère, à Alger, au massacre de la rue d’Isly, qui vit des soldats français tirer sur leurs compatriotes désarmés. Peut-être avait-il pensé alors au Général de Charette, descendant du fameux vendéen,qui, ayant reçu l’ordre pendant la Commune,de tirer sur les Communards ( Ah! Ce bon monsieur Thiers! ) refusa net en déclarant « je ne tire pas sur mes compatriotes»
Voici donc le futur abbé à l’OAS ce qui lui valut l’honneur de la prison , et c’est dans cette prison qu’il se sentit un jour appelé au sacerdoce.Une fois libéré nous le retrouvons en Suisse, formé à la théologie par l’illustre Urs von Balthasar, dont il fut l’un des meilleurs élèves, et qui aurait aimé le garder auprès de lui, lui ouvrant le chemin de la renommée universitaire. C’était là des ambitions légitimes , mais ,lui, choisit une tout autre voie. Comme Télémaque ,auquel les Spartiates avaient offert l’hospitalité dans leur opulente cité ,il voulut retrouver sa pauvre et malheureuse Corse,ayant sans doute entendu la voix du Poverello, qui le conviait à secourir sa «nacelle».Et le voici «chez lui»,hébergé à Ponte Leccia dans l’admirable famille du menuisier Joseph Ferrari et de sa femme Elisabeth – une de ces vieilles familles corses qui avaient à honneur d’abriter sous leur toit un homme de Dieu- et curé de Morosaglia , village aujourd’hui à moitié déserté,mais qui garde le souvenir du Père de la Patrie , qui naquit en ce lieu, fit de la Corse une Nation,et mena contre l’oppresseur , quel qu’il fût , une lutte à la fois politique et religieuse.
Il est des lieux qui ont une âme, et qui parlent au coeur. Le nouveau curé les écouta: il voulut donner aux mouvements de révolte qui secouaient la Corse leur justification et leur sens. Ce fut là le secret de son engagement politique: renouer avec le passé paoliste , rendre à la Corse, dont l’élément constitutif majeur avait été la religion catholique,son identité détruite par un pouvoir athée. Et cela lui valut de refaire connaissance avec les geôles républicaines. Il y entra l’âme en paix , et même avec gaîté . La prison n’est-elle pas le lieu naturel du Chrétien, en ce temps de totalitarisme mou,plus injurieux et efficace que les goulags et stalags d’autrefois?
Il ne fut pas toujours compris: c’est que nous avons tous été formés par l’Ecole de Jules Ferry. « U prete a l’altare.»; Autrement dit «Dis ta messe et ne te mêle pas de la chose publique» .A nous les affaires,les délices des urnes, les fines combines, la gloire mondaine avec ses fastes, ses pompes et ses œuvres et – cela va sans dire- quelques menus bénéfices. Prete Mondoloni, lui, avait puisé aux sources chrétiennes , à Aristote transfiguré par St Thomas ,et avait trouvé dans ses amis religieux l’armature spirituelle qui inspirait et soutenait son combat: La Giustificazione .Pour lui le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel devaient être distingués , mais non séparés , le premier assurant le bien commun, et en même temps les conditions qui permettraient au citoyen de la terre de devenir citoyen du Ciel, ce qui était la tâche spécifique du second, avec le secours de la Grâce.Il était impie et criminel de vouloir disjoindre le Ciel de la Terre, noués par Dieu lui-même. Prete Mondoloni partageait pleinement la vision du monde du génial Péguy: Il fallait aimer sa Patrie terrestre parce qu’elle était l’image et l’avant-goût de la Patrie céleste. « Heureux ceux qui sont morts pour des cités charnelles / Car elles sont le corps de la cité de Dieu / Heureux ceux qui sont morts pour leur âtre et leur feu / Et les pauvres honneurs des maisons paternelles / Car elles sont l’image et le commencement / Et le corps et l’essai de la maison de Dieu / Heureux ceux qui sont morts dans cet embrassement / Dans l’étreinte d’honneur et le terrestre aveu /.
Les «nationalistes» corses , se détournant du ciel, se rabattirent sur la terre. Le résultat ne se fit pas attendre: Un désastre politique. Ce qui aurait dû être une force devint une farce et les Paladins se firent Baladins.Gardons-nous pourtant de jeter la pierre à nos concitoyens: eux aussi étaient imbus de l’idéologie des Lumières.Ces malheureux croyaient de bonne foi être les sauveurs de la corse alors qu’ils en étaient les fossoyeurs.Ils n’avaient pas compris, et ne pouvaient comprendre , qu’un mouvement comme le leur exigeait , pour se soutenir,un ressort spirituel , une tension vers un objet transcendant pour lequel il était beau de mourir.Ils parlaient bien de Liberté, avec une majuscule, mais la Liberté ,sans but, n’est qu’un mot creux et qu’un mirage. Nos «nationalistes en ont donné la preuve. Le soufflé est retombé, mou et flasque, et ils pataugent dans l’économique ,sans autre avenir désormais ( malgré les rodomontades, ) que Macron ou Mélanchon, programmant ,sans le savoir, la mort de notre vieux pays.Une mort sans gloire, alors que la Corse, si elle devait périr, devait au moins périr pavillon haut.
Prete Mondoloni, lui, n’avait pas été à cette école. Il avait renoué avec la tradition corse et Pascal Paoli. Eminemment doué pour la philosophie, il connaissait toutes les écoles modernes ,depuis Descartes jusqu’à Heidegger, Levinas et l’italien Del Noce, mais il n’avait pas oublié St Thomas.Je me souviens l’avoir trouvé un jour plongé dans l’étude de la Somme, qu’il lisait dans le texte latin , annotait et méditait.
Une image est restée profondément gravée dans ma mémoire: celle de la commémoration de Ponte Novu, l’an dernier. Dans la foule on aurait cherché en vain un dirigeant nationaliste.Soudain parut Prete Mondoloni. Déjà marqué par la maladie ,et aux portes de la mort, il avait trouvé la force de venir, « inn abbitu talare»,en soutane , la tenue de combat des soldats de Dieu.Il célébra la messe en unissant , selon le vrai nationalisme,la patrie céleste et la patrie terrestre qui en est l’image. Et il rappela que l’honneur commande de tenir ses promesses , et que nous tous , Corses, nous étions en droit de dire « nous sommes ici chez nous».Il était devenu un symbole:dans la déroute générale, un homme seul émergeait un prêtre, fier et résolu. Il était , ce jour là , toute la Corse , héritier de ses héros et de ses saints, des Pères Fondateurs , de Pascal Paoli et de son frère Clément, du légendaire Circinellu, D’Agostino Giafferri, de Maria Gentile, et d’autres , plus récents, qu’un étrange mémoricide a occultés.
Après tant de combats, de traverses et sans doute aussi de déceptions , Prete Mondoloni repose maintenant dans la paix éternelle, et a reçu la récompense promise aux bons et loyaux serviteurs. Il n’aurait pas aimé , ici-bas, qu’on lui tressât des couronnes, se considérant comme «un humble chrétien». Mais l’humilité ne va pas sans altitude. Nous aimons le jeu de mots fait sur Marie par la piété des fidèles, si faux aux yeux des linguistes, si vrai à ceux des théologiens: Mar-yam , goutte d’eau dans l’océan , en hébreu; ce qui donne en latin: stilla maris – goutte de la mer-
Marie,entièrement docile aux mouvements de l’océan divin. Stilla , qui se prononçait comme «stella»-étoile.L’humble goutte se détache des flots et s’élève au firmament où , devenue étoile, elle guide le marin en péril. Maris stella – étoile de la mer.
Nous aimons à penser que Prete Mondoloni est désormais une étoile lumineuse. Du haut des cieux il nous envoie un message silencieux. Puisse notre jeunesse l’entendre, en cette heure où notre Patrie est en péril de mort . Puisse-t-elle dire, en regardant Prete Mondoloni : « Tu Duca, Tu Signore e Tu Maestro» .
Antoine Luciani
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