Droit du sol, droit du sang
Ces deux expressions sont devenues récurrentes dans le discours politique actuel. Elles s’opposent, et opposent les tenants de l’un et ceux de l’autre. Une opposition qui rejoint celle des « identitaires » et des « mondialistes », les premiers militant pour le droit du sang, les seconds pour celui du sol. Dans notre monde en crise, ces deux étendards s’affrontent violemment.
Cependant, avant d’en venir à la guerre civile, il serait bon de chercher le sens des mots qui nous divisent. C’est ce que nous nous proposons de faire.
Les deux expressions viennent du latin, jus sanguinis, jus soli. Que signifient-elles exactement ?
Ceux de nos lecteurs qui ont fait un peu de latin se souviennent sans doute de l’exemple donné par leur grammaire pour illustrer le sens du « génitif » Amor Petri : l’amour de Pierre. Mais le sens est antique : s’agit-il de l’amour éprouvé par Pierre, ou de l’amour dont Pierre est l’objet ? Dans le premier cas c’est un génitif « subjectif », dans le second un génitif « objectif ». La distinction est de première importance. En latin, l’expression à propos du sol et du sang est un génitif « objectif » ; cela veut dire : règles qui s’appliquent au sol et au sang, c’est à dire les pouvoirs, les devoirs (ou les défenses), qui concernent la résidence et l’hérédité. Prenons le cas d’Athènes. Il y avait à Athènes nombre d’étrangers domiciliés, appelés « métèques » - terme qui n’avait pas alors de connotation péjorative. Quel était leur statut ?
L’étranger, pour s’installer à Athènes, doit trouver un « protecteur » - le prostate- ; il ne peut posséder de biens mobiliers ou immobiliers, en Attique, il ne peut épouser une athénienne ; il doit aussi payer une taxe spéciale (le métoikon), et, pour pouvoir commercer sur l’agora, verser une taxe spéciale. Sur le plan judiciaire, le métèque jouit de garanties inférieures à celles de citoyen. S’il peut intenter un procès au civil comme au pénal, il ne peut prendre part à un tribunal. Dans un procès criminel, il est incarcéré avant tout verdict. Le meurtre d’un métèque n’est passible que de l’exil, alors que celui d’un citoyen est passible de la peine de mort. On voit par cet exemple, que le « droit du sol » à Athènes ne donnait pas à l’étranger les droits dont jouissaient les citoyens. De fait, le métèque était exclu de la vie politique. Il s’agit de pouvoirs, et de défenses, que la cité accorde à l’étranger résident. Ce sont des droits « objectifs ». De nos jours au contraire, le « droit du sol », subjectif, consiste à donner à celui qui naît sur le sol de la nation, tous les pouvoirs que possèdent les citoyens « de souche ». Un abîme sépare ces deux conceptions.
Quant au « droit du sang », il ne concernait que les citoyens athéniens ; mais tous ne pouvaient exercer ces droits : les femmes ne pouvaient pas voter, non plus que les enfants mineurs. De plus, pour voter, il fallait être, à partir de Périclès, non seulement de père athénien, mais de mère athénienne. Ces « droits objectifs » satisfaisaient tout le monde. S’agissant des métèques, qui étaient commerçants ou artisans, ils pouvaient s’enrichir ; et beaucoup d’entre eux étaient très riches. De plus ils participaient à la vie culturelle d’Athènes. La cité, elle, grâce aux taxes qu’ils payaient, bénéficiait de revenus importants. Et la bonne entente régnait entre les « étrangers » et les « de souche ». Ainsi, un peu de grammaire latine pourrait servir à la politique ; nos saltimbanques pourraient s’inspirer de l’exemple athénien dans leur vision de la Corse future. Mais ils préfèrent répéter ce qu’ils entendent dire à Paris : quandu i ghialli cantanu in Parigi, i papajalli ripetenu in Corsica.