Nationalisme et Patriotisme
Nous trouvons dans le Corse-Matin du 17 mars un article intitulé Nationalisme et Patriotisme, d’un philosophe ancien recteur. Cet article est digne d’intérêt : d’abord par son contenu, ensuite par son intention. Les notions de « nation » et de « patrie » sont en effet assez floues, et il arrive que l’on emploie indifféremment l’un ou l’autre mot. Il importe donc d’en préciser le sens, de les définir le plus précisément possible. C’est ce qu’entreprend notre philosophe. La distinction des deux mots, nous apprend-il « est clivante, voire pertinente ». Ce qui veut dire sans doute qu’elle discrimine, et quelquefois même avec justesse. En somme c’est une distinction… qui distingue. Que voilà une vérité première, qui trouvera peu de contradicteurs !
Déjà Jaurès avait discriminé, par une phrase célèbre autant que sonore : « un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup d’internationalisme y ramène ; un peu de patriotisme éloigne de l’internationalisme, beaucoup de patriotisme y ramène ». Bref, plus on est international, plus on est patriote, plus on est patriote, plus on est international. Si nous portons à incandescence chacune de ces deux notions, elles fusionnent : La Patrie devient l’Humanité, et l’Humanité devient la Patrie.
Bien sûr le FN, qui manque de culture, a honteusement défiguré la pensée de Jaurès, en faisant croire qu’il était nationaliste, puisque patriote. Le philosophe a raison : Marine Le Pen est incapable de penser : elle pense penser, en réalité elle bavarde. Cela n’est pas mal vu, nous en convenons volontiers.
Jaurès avait pressenti Marine. « Le chauvinisme imbécile et bas.. ; » ; « ces misérables patriotes qui, pour aimer et servir la France, ont besoin de la préférer… » C’est clair : ces fils qui, pour aimer leur mère, ont besoin de la préférer à d’autres, montrent par là leur bassesse et leur imbécillité. Merci pour votre maman, cher philosophe !
Nous n’aurons pas la cruauté de faire remarquer à notre penseur que la caricature qu’il fait de Maurras est le pendant de celle que Marine fait de Jaurès. Passons…
Mais voyons comment Jaurès distingue : « En 1792, la patrie est en danger ; la patrie, c’est à dire la France révolutionnaire, cette patrie commune à tous les révolutionnaires », car « au fond, il n’y a qu’une seule race : l’humanité ». En somme, toute patrie, quand elle devient révolutionnaire, déborde les frontières de la nation, et devient l’Humanité. Et voici, ô miracle ! la pluralité qui se fond dans l’unité.
Nous pardonnerons à Jaurès l’emploi d’un mot, « race », qui le conduirait aujourd’hui devant les tribunaux. Nous lui pardonnerons aussi d’avoir parlé d’une race unique, alors que ce mot implique la pluralité.
Venons-en à l’essentiel. L’idéal humain doit être pour Jaurès universel. Il oppose ainsi le noble idéal républicain, Liberté, Egalité, Fraternité, qui vaut pour tous, à la misérable trinité de Pétain (un nom qui sent le soufre !) : Travail, Famille, Patrie « qui exclut tout idéal universel ». Avouons ici notre perplexité : pourquoi le travail, la famille et la patrie seraient-ils réservés aux seuls français ? Ne travaille-t-on pas partout dans le monde, n’y a t il pas partout des familles et des patries, qu’il faut aimer et servir ? Quant à l’idéal républicain Liberté, Egalité, Fraternité, il est certes universel, mais, hélas, il s’auto-détruit : la Liberté tue l’Egalité, ce qui annule la Fraternité –d’ailleurs impossible sans le Père. Le philosophe, qui aime se référer à l’Evangile, nous dira sans doute que l’idéal républicain en émane. Et certes, il en émane, mais il inverse les termes ! L’Evangile dit : Fraternité, Egalité, Liberté. Fraternité, car nous sommes tous fils d’un Père, qui est Amour. Egalité, car l’Amour égalise. Liberté, car nous sommes libres d’accepter ou de refuser le don de Dieu. Ainsi les trois termes, loin de s’entretuer, sont unis par un lien logique, et se soutiennent. La formule républicaine inverse et pervertit la triade évangélique : vade retro, Satanas !
Mais la contradiction ne s’arrête pas là ; nous avons appris, un peu plus haut, que la patrie est le fruit de la Révolution, qui la déborde pour la faire accéder à l’Humanité. Nous apprenons maintenant que la patrie « est le sol singulier pour une université idéale ». Qu’est-ce à dire ? En décryptant cet oracle quelque peu obscur, nous comprenons que, comme « chacun de nous porte en soi la forme entière de l’humaine condition », chaque patrie porte en elle la forme entière de la patriotique condition. Il ne s’agit donc plus de la fondre dans l’ensemble ; elle garde, et doit garder, son individualité. Alors, la patrie doit-elle subsister ou disparaître ? Comprenne qui pourra.
Enfin, nous dit Jaurès, approuvé par notre penseur, cette patrie singulière n’est pas la valeur suprême : « Elle n’est pas le but,… elle est un moyen de la liberté. Le but, c’est l’affranchissement de tous les individus ». Autrement dit, le but de la Patrie, c’est la destruction de tout lien social, pour enfanter l’individu-Dieu. La patrie a donc pour but de s’anéantir elle-même pour créer un peuple de Dieux. Vieux rêve, inspiré par Lucifer : « vous serez comme des Dieux ». C’est bien ce que nos temps « post-modernes » ont entrepris de réaliser, avec une volonté fanatique. Sur ce point Jaurès aura «été bon prophète. Reste qu’un « peuple de Dieux » est un cercle carré.
Si le patriotisme, selon le philosophe, conduit à la Divinité, le nationalisme est une idolâtrie de la patrie, « qui ne cesse de réclamer des sacrifices, et se nourrit de la guerre ». Le chrétien pense autrement : pour lui, la patrie n’est certes pas le but ultime, mais c’est l’image de la Patrie céleste, qui la sacralise, et nous commande de la servir et de l’aimer –et s’il le faut, de se sacrifier pour elle.
Or, il n’existe pas de patrie sans nation. Pour le Philosophe, la nation est « essentiellement une pensée indigène, hostile aux allogènes. Elle fonde la nation sur un droit du sang, étymologiquement réactionnaire ». A l’inverse, « si la nation est hérédité, la patrie est héritage, et pour cela préfère le droit du sol, l’acquis à l’inné, la culture à la nature, un héritage à transmettre, à faire évoluer pour développer une culture en s’inscrivant dans le progrès. » En résumé « la distinction entre nationalisme et patriotisme, c’est le différend entre réaction et progrès, entre obscurantisme et lumière ».
Nous avons compris !
Nous répondrons avec Carl Schmitt et Julien Freund (et avec l’expérience de tous les siècles), que la nation qu’il honnit est nécessaire : tout groupe humain, une fois fixé sur une terre, a pour premier souci de marquer son territoire, de tracer une frontière pour se défendre contre d’éventuels agresseurs ; et donc l’étranger est d’abord l’ennemi. Il ne saurait en être autrement. A l’intérieur de cet espace, se constitue un peuple, à base ethnique, qui se crée une culture, qu’elle transmet en héritage, et que les générations postérieures ont la charge de conserver, de développer et de perfectionner – car la véritable tradition est critique – Chaque membre du groupe se trouve à l’aise à l’intérieur de cet espace, où il trouve ses repères, et qu’il appelle sa patrie. Il est donc stupide d’opposer l’ héritage à l ‘hérédité.
Il y aura donc des nations-patries tant qu’il y aura des hommes. Des nations qui s’affronteront et se combattront, soit par la guerre, soit par la compétition « pacifique ».
Quant à l’éternelle paix, elle est d’un autre ordre, celui de la charité. Nous ne la trouverons que dans le Royaume de Dieu, qui n’est pas de ce monde.
La pensée du philosophe nous paraît quelque peu confuse, et radicalement fausse (mais peut-être est-ce notre cerveau qui est confus ?)
Quoi qu’il en soit, l’intention du philosophe, elle, est très claire : détruire les défenses immunitaires de notre peuple. Il y réussira peut-être : les Saltimbanques sont pour lui. Mais ce ne sera pas sans combats. Léonidas, Léonidas !