L'usu corsu : sur quelques gallicismes disgracieux
Ils se sont si bien glissés dans notre langue que l’on ne s’aperçoit presque plus que ce sont des intrus. Et, comme tous les intrus, ils tendent à chasser les légitimes habitants. La fable « A bellula e u ricciu » est bien connue. Mieux vaut donc les refouler avant qu’ils ne nous mettent à la porte. Rien de plus simple, d’ailleurs, que de revenir à nos vieux usages. L’emploi des pronoms-adjectifs indéfinis nous en donne l’occasion.
Commençons par « n’importe qui, n’importe quel ».
Nous entendons souvent, dans nos rues : « n’importa chè », « n’importa quale ». Cela passe, mais ce sont des clandestins qui cherchent à se fondre dans la population locale. A reconduire d’urgence aux frontières ! On dit en corse « qual voglia sia (et non : n’importa quale !), pour parler d’un personnage important, ou qui veut s’en donner l’air. On dira de lui, souvent avec une nuance d’ironie, « poca tolla ! » « N’importe quoi » se dit : « qualsiasi cosa ». « Il fait n’importe quelle folie » : face qualsiasi scimità ». On emploie quelquefois des expressions imagées : « dice ciò chi li vene in bocca ». « Quel qu’il soit », « de quelque nature qu’il soit », se dira : « qualunqu’ellu sia » ; « qui que ce soit », se dira : « chichessia » ou « qualunqu’ellu sia », « chacun », dans des phrases comme : « ils ont deux livres chacun », se traduit par « hanu dui libri per unu ». « « Ils sont venus chacun avec son livre », se dira : « so venuti cu signi libru », venant du distributif latin « singulus ». « L’un rit, l’autre pleure », se dira en corse : « a chi ride e a chi pienghie ». Le « on » français est représenté en corse par « omo ». Mais « on est content » se dira « omo è contenti ». Et souvent on préfèrera tourner autrement : « on mange le poisson frais » : « u pesciu si manghia frescu ». « on en », « on y », se disent « si ne » ou « ci ne » : on en trouve » : « si ne trova », « on y vient » : « ci si ghiunghie ».
Deuxième expression vicieuse : « venia di ghiunghie » : il venait d’arriver. A rejeter absolument ! Dire : « era ghiuntu tandu » ou : « ghiustu tandu ». « Il vient de sortir » se dira « è esciutu a pena avà ». si on veut insister sur la proximité de l’action : « è esciutu avà avà ». Si on veut indiquer un moment un peu plus éloigné : « da pocu » ou : « chi un è tantu » : « depuis peu ». Quelquefois il n’a pas à être traduit : « Le père et la mère regardaient l’enfant qui venait de naître » : « u babbu e a mamma figghiavanu u ciucciu chi l’era natu ». Pour exprimer une action qui aura lieu prochainement : « il ne tardera pas à venir », on dira : « sta per ghiunghie ». Pour une arrivée imminente, on pourra dire : « è a l’orli ». Pour dire « il me tarde de venir », le corse a : « mi triga a ghiunghie », ou « un vegu l’ora di ghiunghie ».
Parlons enfin de la traduction du « pourtant » français, souvent calqué par « purtantu ». Quand « pourtant » signifie « malgré cela », nous dirons en corse : « ciò malgradu », ou « eppuru » ; quand nous voulons contredire fermement l’opinion d’un interlocuteur, c’est : « e tantu po’ » qu’il faut employer : « e tantu po’ si move » = « et pourtant elle se meut ». Si nous voulons reprocher à quelqu’un une conduite indigne de lui, nous dirons : « ‘ndè … po’ ». « Tu te conduis en lâche, pourtant tu es Corse » : « faci da vigliaccu », ‘ndè sì po’ Corsu ! » Quand nous voulons indiquer que quelque chose manque, malheureusement, à la perfection d’un être ou d’une chose, nous dirons, par exemple : « ha tuttu ciò chi ci vole, peccatu ch’ellu sia malaticciosu »= « il a tout ce qu’il faut, pourtant il manque de santé ».
Terminons par cette expression française, qui marque la simultanéité de deux actions : « tout en ». On traduit souvent par « tuttu », suivi du gérondif, comme en français. Erreur ! « Tout en mangeant, il lisait le journal », se dira en corse : « mentru ch’ellu manghiava, lighia u giurnale ». On pourra aussi, pour insister sur la durée de cette simultanéité, dire : « manghiendu manghiendu, en redoublant le gérondif.
Evitons ces gallicismes, qui s’insinuent dans notre langue pour la défigurer ! Et que l’on ne dise pas : « Le sort des langues est d’évoluer sans cesse ; il faut accepter l’inévitable ». Dans un peuple en lutte, la langue participe au combat ; elle chasse les intrus et revient à sa pureté première.