L'usu corsu (3)
Le français dévore le corse : il agit à la manière d’un filtre, qui ne laisse passer que les mots et expressions qui ont leurs correspondants en français ; mieux encore : il donne naissance à des barbarismes, à d’horribles locutions. Il importe de chasser ces intrus, de rendre à notre langue sa pureté première, et son riche vocabulaire – en un mot son génie, qui fait d’elle le plus bel idiome italien, le plus fort, selon l’avis d’un connaisseur, le grand écrivain Tommaseo.
Nous avons déjà noté des monstres, comme « futtimi u cane », pour dire : « escimi di tra i piedi » ou « escimi di razzica », ou encore : « escimi di via ».
Mais il existe des locutions qui sont compréhensibles en corse, bien qu’elles ne soient pas vraiment corses. Ainsi : « s’ha strintu u currighiolu per allevà i so figlioli ». Tout le monde comprend. Mais on disait plutôt, quand le corse n’était pas contaminé par le français : « s’è spulpatu per allevà i so figlioli ». On entend dire d’une femme: “è una pesta” – “c’est une peste”, et tous comprennent; mais on disait autrefois: “è un focu”. “Bona ghiurnata” a supplanté l’antique “stattine sanu” “stu caffè è acquetta”: cette fois on comprend, mais de travers. Car cela veut dire, non pas: “ce café est délavé”, mais: “ce café est un poison: l’acquetta: “la petite eau” est une eau dangereuse, mortelle. Le suffixe “ettu”, “etta”, ne signifie pas toujours “petit”, de meme que le “acciu, accia”, ne signifie pas toujours “méchant”, “mauvais”: “una zitellaccia” ne veut pas dire “une mauvaise fille”, mais une bonne fille, sans soucis, et rieuse. Pour revenir à notre café, quand il est délavé, on dit en corse: è sciondera; adjectif qui qualifie également une femme sans esprit, qui ne sait rien faire. On entend dire: “un ti ne fà”: ne t’en fais pas, mais le corse dit: “un ti mulestà”, ou bien “un ti fà cattivu sangue”. Une femme, à la messe “ha cummunicatu”= elle a communié; erreur! C’est s’è cummunicata » qui convient. « Ha mancatu u trenu » : non ! « ha persu u trenu » est l’expression juste. Après la messe se dit : « dettu messa », et non « dopu a messa ». « Face bonu » est en train de remplacer le corswe « si sta bè » ; « u serenu face piacè » : « l’air du soir est agréable », se dit en corse : « « accunsente u serenu ». « E più grande che ellu d’un palmu » : en corse : « li porta un palmu ». « Les étoffes » : plutôt que « e stoffe » : « a roba di palmu ». « Il s’est trompé de route » ; non pas : « s’è sbagliatu di strada », mais : « ha sbagliatu strada » ou : « s’è straviatu ». Une femme terrible est, en corse, non pas « terribule », mais « tremenda » ; « badiner » se dit, non badina », mais « curiosa ». « Envoyer au diable », c’est « manda a caternu », ou « a l’imbuli ». Une femme est « débrouillarde » en français, mais, en corse, non pas « sbrugliarda », mais « capereccia ». « Regardez-moi cet emplâtre », ce n’est pas « « fighiatemi ssu impiastru », mais « ssu strombalu », avec l’accent sur la première syllabe ; on ne dit pas : « un li parla micca », mais « li nega u mottu » ; « a sciansa », en Corse, c’est « a liccia » ; on ne dit pas « sbruglia un’affare », mais « disciuplicà un’affare » ; « se changer les idées », c’est « svarià » ; « être de mauvaise nature, c’est être, en corse « di cattiv’indule » ; une jeune fille insolente, qui se révolte contre l’autorité, n’est pas « insulente », mais « una faccia rivultata » ; en corse, « un si lmette micca da parte », mais « s’alloca » ; un si dà micca « una voce »quand’ellu si vota, ma « si dà un votu ». –« dà una voce » signifie tout autre chose ; una minuta »est un gallicisme : le corse dit : « un minutu ». « tomber malade » ne se dit pas « cascà malatu », mais « ammalassi » ; « aller mieux », c’est « migliurà » et non « anda megliu ». On ne dit pas « sapè per core », mais « sapè alla mente » ; une personne n’est pas « amabile », mais « amurosa » ; elle n’est pas « di cattiv’aria », mais « di cattiva cera » ; « il ne l’a pas fait exprès » se dit « un l’ha fatta apposta ».
La liste est longue, et s’allonge tous les jours, de ces mots et expressions qui sont compréhensibles en corse, mais qui sont contaminés par le français, et dont il faut absolument se séparer, pour cause d’adultère. Nous avons donné quelques exemples, laissant à nos lecteurs le soin d’en trouver d’autres. Il y a du pain sur la planche, hélas ! -ce qui ne se dit pas « c’è u pane nant’a a tavula », mais « un manca u da fà ».
ZIU MIRÌU (incalcu nant’à u secondu i).