L’usu corsu
Corsica Catolica lutte pour sauver la Corse, notre patrie, qui agonise. Elle ne peut donc se désintéresser de notre langue, élément constituant de notre identité. Il est bien vrai de dire que nous voyons le monde à travers notre langue, qui le structure, qui est la vraie « maison du peuple » ; en elle nous nous rassemblons, nous nous reconnaissons frères, nous avons le sentiment d’être différents des autres, d’être « entre nous ».
Où donc en est la langue corse ? Hélas ! reflet du peuple, elle agonise, elle aussi. Nous ne pouvons plus dire, sauf de rares anciens, que nous l’avons sucée avec le lait de nos mères. Elle n’est plus la langue maternelle. Il n’y a plus, en Corse, aujourd’hui, que deux langues maternelles : le français et l’arabe dans toutes ses variétés dialectales. Quant au corse, il suffit d’entendre ceux qui croient encore le parler : le corse est en train de devenir le dernier patois français.
Nous essaierons donc, à Corsica Catolica, avec tous les enseignants dont nous apprécions le dévouement, de lui rendre sa vie et sa vigueur premières. Nous aurons donc une rubrique consacrée à notre langue, si mal en point. Que de mots barbares se sont introduits, comme des cellules cancéreuses, dans la pure « parlata » de nos ancêtres !
Commençons par les plus malheureux de ces mots, qui est précisément le mot « heureux ». Quel « scumpientu », comme dirait le regretté Perfettini, qui avait dressé une liste de ces horreurs, liste qui va s’allongeant de jour en jour. « è orosu, orosamente, malorosamente » ! Ce dernier adverbe qui n’en finit pas, qui paraît prononcé « cu a bocca piena di pulenda ». Le plus beau, c’est que certains ne peuvent pas dire trois mots de corse sans y introduire ces monstres. Ils font comme ceux qui butent sans cesse de la langue contre une dent ébréchée. Il y a pourtant bien des mots corses authentiques pour signifier que l’on est heureux ; voyons : d’abord deux vocables, dont le sens est identique, qui expriment le sentiment de reconnaissance que nous éprouvons pour un bienfait reçu : A di merzè, et, A ringrazià. Si nous avons le sentiment d’une aubaine, nous dirons : « furtuna chi… » Si nous voulons dire que le bien reçu nous a tirés d’une situation difficile, voire désespérée, nous avons à notre disposition la locution : a campa chi… ; Par exemple, durant la dernière guerre, nous étions menacés de famine ; « a campa chi i castagni hanu datu ». Maintenant, si nous avons évité de justesse une catastrophe, nous dirons, par exemple, « a vittura ha sbandatu » ; anch’assai ch’ellu c’era u parapettu ; o sinnò ci lampavamu indu sgarganatu ». Enfin, pour traduire la locution française « encore heureux que », nous dirons « menu male chi ».
Pour exprimer l’adverbe « heureusement », nous avons donc en corse plusieurs mots ou locutions, qui ne s’emploient pas indifféremment, mais qui traduisent des nuances diverses, nuances qui font la richesse de la langue.
Quant au calamiteux « malorosamente », nous en parlerons dans la prochaine rubrique.