La Corse, le corse et le Professeur
La réputation du Professeur Vergé-Franceschi n’est plus à faire. Eminent historien, il est aussi penseur ; chose naturelle car l’Histoire nourrit la Pensée. Voilà pourquoi Cuntrastu lui a demandé de nous donner une leçon. La photo de l’invité était belle, et le sous-titre accrocheur : une identité vue par un Professeur sur un plateau, ça ne se voit pas tous les jours. Nous avons donc voulu savoir ce que nous sommes, en nous réservant le droit, accordé aux élèves, de lever le doigt pour demander une explication.
Le Professeur commence par parler de lui ; de ses origines maternelles. « Je revendique beaucoup de ce que certains appellent leur corsitude. » Voilà qui va loin, et profond. Notre bon instituteur, très à cheval sur la propriété des termes, lui aurait tiré l ‘oreille. La « corsitude » ? Un mot qui rime avec « négritude », dont d’ailleurs il est issu… Le Professeur se sentirait-il colonisé ? Aurait-il subi la traite des nègres ? La langue a dû lui fourcher : il voulait sans doute dire « corsité ». Disons, tout simplement, qu’il se sent Corse. Corse de la « diaspora ». En somme, de l’étranger, ce qui nous rassure : le Professeur ne se sent pas français. Pas tout à fait corse non plus : « Je n’ai jamais voulu voter en Corse parce que je ne me suis pas senti le droit d’hypothéquer l’avenir des Corses qui vivent dans l’île. La région appartient aux gens qui l’habitent, qui la font vivre, qui y paient leurs impôts, et qui y travaillent au quotidien ». Aux parisiens, aux maghrébins, aux anglais, aux Allemands, aux Esquimaux, aux australopithèques, aux sapajous, aux zoulous – pourvu qu’ils y habitent. Vous avez bien lu : elle leur appartient, c’est leur propriété. C’est clair. Cette identité bariolée est corrélée à la mer : « D’où qu’on vienne, on traverse la mer. » Cela suffit pour donner une identité au peuple corse. Et si on y vient par la voie des airs ? Le Professeur ne dit rien à ce sujet.
Bien sûr , la mer n’est pas tout ; il y a la langue. C’est un point important, et délicat. « La Corse possède une langue très ancienne. » Même Sénèque, - oui, même Sénèque, qui était idiot -, a remarqué que les Corses ne parlaient pas latin ; peut-être parlaient-ils déjà corse ? « L’identité, c’est un tout. C’est notre culture, notre passé, notre architecture, notre langue. » Bravo ! Quelle belle découverte ! La revendication linguistique est récente, puisque le corse a été pendant très longtemps une langue orale. Certes ! Mais le corse était, au temps de Pascal Paoli, le niveau inférieur de la langue italienne. La langue des « travaux et des jours ». Nos ancêtres ne ressentaient aucun besoin d’en revendiquer l’écriture ; corse et italien, c’était la même langue. Ce besoin est né du jour où la Corse est passée sous domination française, langue étrangère pour nos aïeux.
Qu’il faille aujourd’hui « défendre » la langue, nul n’en disconviendra ; mais la défendre contre quoi, contre qui ? Cela le Professeur se garde bien de le dire ; car il faudrait avouer qu’il faudrait s’en prendre à la France. Il serait donc simplement nécessaire « de la conserver en tant que patrimoine, que culture, et donc l’enseigner ». Une pièce de musée, en somme. Par ce tour de passe-passe est dissimulé l’essentiel : la langue et le peuple sont indissociables, et un peuple asservi ne peut que perdre sa langue. On peut bien l’enseigner dans les écoles ; ce sera toujours comme on enseigne une langue étrangère. Jamais elle ne deviendra langue maternelle, comme elle était dans le passé. Il y a actuellement en Corse deux langues maternelles : le français et l’arabe dans la diversité de ses dialectes. Enseignées ou non, elles sont langues maternelles, issues d’un peuple. Il y a, à côté, des langues « étrangères » , enseignées comme telles, dont le corse. Quant au corse parlé dans la rue, c’est simplement le dernier patois français. Sur ces rapports entre le peuple et la langue, nous nous permettrons de signaler au Professeur, et aux autres, l’admirable page de Kierkegaard, dans « Etapes sur le chemin d’une vie ». Comme on demandait au philosophe danois pourquoi il écrivait dans une langue de bouviers et de paysans, et non en allemand, langue philosophique par excellence, il répondit : « Parce que je suis uni à ma langue comme Adam le fut à Eve »… etc… Le Professeur ne peut ignorer cette page de son collègue danois… Alors, pourquoi la taire ? Petit cachotier, va !
Mais en fait : qui est corse et qui ne l’est pas ? Question embarrassante pour le Professeur, qui ne sait pas un mot de corse. « On ne peut pas dire qu’on est corse parce qu’on a du sang corse depuis toujours. C’est le cas pour l’auteur de ces lignes. Il ne peut donc pas se dire corse sous peine de « connotation raciale, voire raciste ». Mais son chien peut se dire corse en toute impunité !
Alors, qui sera corse ? Pas tous ceux qui résident en Corse – malgré ce que vient de dire à ce sujet le Professeur, qui ne craint pas de se contredire. Comme il habite Paris, il s’exclurait lui-même de la Corse, et serait considéré comme »apatride ». Oserons-nous faire observer au Professeur que les parisiens ne sont pas des apatrides mais des français ?
M. Vergé Franceschi évoque alors « un sentiment d’appartenance » - définition plutôt vague… Quant aux arguments des « nationalistes », « ils sont fondés d’un point de vue historique ». Mais de quel autre point de vue ne sont-ils pas fondés ? Motus et bouche cousue.
Quoi qu’il en soit (mais qu’en est-il ?) « l’ identité corse est difficile à comprendre pour tout pays continental. Les Français ont d’ailleurs toujours perdu les batailles navales contre l’Angleterre ». Est-ce à dire que les Corses ont vocation à être anglais ? Nous laissons au lecteur le soin de sonder cette phrase qui conclut l’interview par un mystère.
Mais tout pourrait se simplifier par une solution géniale : ne pouvant la Corse rester française, la France pourrait devenir corse. Comment ? Mais si Gilles Simeoni devenait Président de la République ! Comme au temps de Louis Napoléon Bonaparte… « Oh ! le petit flagorneur », disent les méchantes langues…
Tant qu’à faire, il aurait pu remonter jusqu’à Napoléon : Gilles Simeoni, empereur des Français !
Mais l’Empire n’est pas du goût de ces Républicains. Il se contentera donc de la Présidence de la République. Il ne reste plus qu’une chose : convaincre Macron de lui céder sa place.
Antoine Luciani